03/10/2011
Laïcité : retour aux origines
Détail que l'on a tendance à oublier, le principe de la laïcité comme « distinction entre la sphère politique et la sphère religieuse »1 a d'abord été énoncé par le Christ lui-même. Vous rappelez-vous la scène ?
PHARISIENS : « Est-il permis ou non de payer l'impôt à César ? »
JESUS : « Faites-moi voir l'argent de l'impôt... De qui est l'effigie que voici ? Et l'inscription ? »
PHARISIENS : « De César. »
JESUS : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »2
« À César ce qui est à César » : c'est surtout cette première moitié de la réponse qu'illustre l'épisode. Mais il existe un autre passage de l'Évangile où, d'un claquement de fouet, Jésus souligne la nécessité de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » :
La Pâque des Juifs était proche et Jésus monta à Jérusalem. Il trouva dans le Temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes et les changeurs assis. Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les bœufs ; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables, et aux vendeurs de colombes il dit : « Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce.3
Que fait ici le Christ ? Il redéfinit le Temple comme espace sacré, comme lieu du non-négociable, c'est-à-dire comme endroit où littéralement, le négoce n'a pas sa place. César, en filigrane, se voit expulsé lui aussi, comme en témoignent les deniers frappés à son effigie qui s'éparpillent sur le sol.
« Bon, et alors ? » direz-vous. « Et nous dans tout ça ? » Eh bien, précisément, et vous le sentez, ces quelques lignes écrites il y a deux mille ans demeurent d'une actualité brûlante. Deux remarques :
a) Avez-vous remarqué comment Jésus arrive à la conclusion que le denier appartient à César ? Il fait constater à ses interlocuteurs qu'il porte l'effigie de l'empereur. Le mot « effigie » rend le terme « imago », employé par saint Jérôme dans sa Vulgate. Et par « imago », Jérôme ne fait que traduire le mot εἰκών des évangiles synoptiques. Ce qu'il faut rendre à, c'est ce qui appartient à, et ce qui appartient à, c'est ce qui est à l'image de, affirme le Christ. Que faut-il rendre à Dieu ? Ce qui appartient à Dieu, autrement dit, ce qui est à son image. Et justement, ce qui se trouve à l'effigie de Dieu, c'est l'homme, « créé à son image »4 : à cet endroit précis du texte de la Genèse, on retrouve le mot εἰκών dans la version de la Septante, et le terme « imago » dans la traduction latine de saint Jérôme.
b) Le Temple lui-même, dont Jésus chasse les marchands, « préfigure son mystère »5, auquel l'homme participe en tant que fils de Dieu. Et le CEC de résumer :
« Le corps de l’homme participe à la dignité de l’" image de Dieu " : il est corps humain précisément parce qu’il est animé par l’âme spirituelle, et c’est la personne humaine toute entière qui est destinée à devenir, dans le Corps du Christ, le Temple de l’Esprit (cf. 1 Co 6, 19-20 ; 15, 44-45) »6.
ab) Ces deux remarques n'en font donc qu'une : dans l'épisode de l'impôt dû à César, ce qui appartient à Dieu, c'est l'homme tout entier ; dans l'épisode des marchands, le Temple représente encore l'homme tout entier !
Une laïcité bien comprise se doit donc de protéger l'homme, corps et âme, comme image de Dieu et Temple de l'Esprit. Elle doit le défendre contre deux envahisseurs principaux : César, mais aussi les puissances d'argent. Ce n'est pas un hasard si au moment de condamner la prostitution, l’Église rappelle que le corps humain constitue le temple de l'Esprit7 : on ne peut faire de la personne humaine « une maison de commerce »8, un lieu de négoce. Par conséquent, l’Église se trouve en plein accord avec la laïcité lorsqu'elle affirme par la voix de Benoît XVI qu'il existe des principes non-négociables :
En ce qui concerne l'Église catholique, l'objet principal de ses interventions dans le débat public porte sur la protection et la promotion de la dignité de la personne et elle accorde donc volontairement une attention particulière à certains principes qui ne sont pas négociables. Parmi ceux-ci, les principes suivants apparaissent aujourd'hui de manière claire:
-
la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu'à sa mort naturelle;
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la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage - et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d'union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable;
-
la protection du droit des parents d'éduquer leurs enfants.
Ces principes ne sont pas des vérités de foi, même si ils reçoivent un éclairage et une confirmation supplémentaire de la foi; ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et ils sont donc communs à toute l'humanité.9
Voilà l'authentique laïcité, et la plus ancienne. L'avortement, le prétendu « mariage homosexuel » dont on prépare la légalisation (et la permission d'adoption qui s'ensuivra inéluctablement), mais aussi l'exploitation de la personne humaine sous toutes ses formes, en constituent des violations manifestes. Les catholiques, non pas en dépit de la laïcité, mais au nom même de la laïcité, ont le devoir de s'y opposer.
Chassons les marchands du Temple.
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